mercredi 8 juillet 2009

Analyses lithoacoustiques et pétrographiques de lithophones, variabilités sur l’origine des matériaux et des techniques de fabrication

Certaines roches frappées d’un coup sec par percussion directe, ont la propriété d’émettre une résonnance musicale pendant un laps temps plus ou moins long. Ces pierres taillées et éventuellement polies par l'homme ont été définitivement appelées des lithophones (lithos : "pierre" ; et phone, du grec phonê, «voix»).

Les lithophones sont des instrument de musique remontant à la Préhistoire (Paléolithique). Ils ont été recensés sur un majorité de continent, notamment en Afrique, Asie du Sud-Est, en Chine, Europe... Ce sont des instruments à percussion directe qui peuvent être aussi frottés. Les lames lithophoniques peuvent former des carillons, ensemble de pierres sonores posés à terre, ou suspendu par divers moyens. Les masselottes qui les frappent sont des baguettes en bois, en corne, ou des pierres. Ces instruments, dont les sons ne dépendent que d'eux-mêmes, les font se classer parmi les idiophones (du latin "idio " qui renvoie à la notion de "soi-même").
Les idiophones, ou autophones, sont des instruments probablement plus anciens que les membranophones (tambours) en raison de la simplicité de leur conception.

Des laves à feldspathoïdes, des phonolites, par exemple, doivent leur nom à cette propriété naturelle qui est aussi partagée par des roches calcaires compactes à grains fins, par des amphibolites, par des roches schisteuses… Percutés, ces roches propagent différents types d’ondes élastiques : les ondes de volume (ondes compressionnelles et ondes de cisaillement), et les ondes d’interface (ondes de Rayleigh, ondes de Love, etc.).

Ma recherche en lithoacoustique (circulation des ondes en milieux solides), qui a démarré en 2004, se fixe sur la manifestation des modes vibratoires dans les cylindres de pierres (lithophones cylindriques). En effet, depuis la Préhistoire, les idiophones lithiques ont servi à émettre intentionnellement des sons codifiés ou musicaux soit en milieux ouverts (déserts, montagnes, collines…), soit en milieux fermés (canyons, cavernes, grottes).

Certains groupes humains, tout en testant et éprouvant les matériaux lithiques pour la fabrication d'outils, ont exploré les capacités vibratoires de ces matériaux pour le plaisir peut-être, dans un premier temps, puis avec la volonté de transmettre cette curiosité naturelle à d'autres personnes.

L'écoute des matériaux lithique s'est perpétuée à travers les temps et les générations comme en marbrerie par exemple, pour vérifier l’absence de fracture dans les dalles découpées. Les pierres sont tenus suspendus entre deux doigts et choqués brièvement. Ce simple test est toujours employé sur les blocs et les bancs de pierre. Les ouvriers, en frappant d’un coup de masse les calcaires parisiens, notent la persistance des vibrations répondant à un «pif», ou à un «paf», ou à un «pouf». Selon le bruit émis, ils savaient si les pierres étaient destinées aux remblais, aux moellons, ou à la sculpture.

I – Typologie sommaire des idiophones lithiques
Comme aucun travail exhaustif n’a encore été lancé sur cette thématique, j'ai commencé à établir une typologie plus précise sur ces idiophones de pierre. Deux grandes familles sont apparues très vite : les lithophones dormants (concrétions souterraines, blocs hiératiques naturellement fragmentés…) ; et les lithophones mobiles (lames de pierres angulaires naturelles, lames de pierres angulaires taillées, pierres cylindriques taillées...).


A) Lithophones dormants (LD) : ces instruments sont intransportables parce que trop volumineux, trop lourds, ou parce qu’ils sont des excroissances naturelles attachées à des parois, ou des figures d'érosion karstiques, par exemple (Lapiaz ou tsinggy). Ces lithophones dormants se subdivisent en 2 sous-groupes :

- 1) Lithophones dormants naturels (LDN)
a) LDN fixes : situés dans les milieux karstiques, comme les concrétions de calcite verticales ou excentriques. Ces idiophones ont probablement instauré des habitudes musicales dans les milieux fermés, parce que situés dans des espaces propices à l’émission de sons en «chambre sonore» (musique architecturale). Les grottes et abris-sous-roche fournissent des ensembles instrumentaux imposants.
b) LDN libres : Certains blocs volumineux naturels hiératiques, alluvionnaires, morainiques, écailles de roches, émettent des sons quand on les frappe avec un percuteur. Certains on été identifiés comme en Abyssinie, sur le plateau de Bandiagara, Oued Djaret, au Sahara (Perrier R., 1996).

- 2) Lithophones dormants manufacturés (LDM)
En Inde, le temple de Vitthala dans le Karnataka renferme 56 colonnettes cylindriques de granit sonore ; de même, la cathédrale de Laon, en France, en possède une très haute en calcaire Lutétien.

B) Lithophones mobiles naturels (LMN) :
Suspendus ou posés, ces lithophones se divisent en deux sous-groupes comprenant les pierres de forme angulaire, généralement lamimaire, ou lames lithophoniques, ou de forme arrondies :

1) Lithophones mobiles naturels angulaires et laminaires (LMNAL)
a) Lithophones mobiles naturels angulaires et posés (LMNAP)
Des ensembles de lithophones hiératiques gravées ont été découverts en 1892 dans les dolérites du sud de l’Inde, dans les Kupgal Hill dans le Bellary district, Karnataka (Boivin & al, 2006).
b) Lithophones mobiles naturels angulaires et suspendus (LMNAS)
Dans le monastère éthiopien de Debré Tsion dans la vallée du Geralta, province du Tigray, les prêtres jouent d’un ensemble suspendu à une branche par des fils.
c) Lithophones angulaires mobiles manufacturés et posés (LAMMP)
En Asie du Sud-Est, au Vietnam, des ensembles de lames de pierres sonores angulaires taillées ont été découverts, comme dans le site archéologique de Binh Dap, de plus de 3.000 ans, dans la province de Dong Nai. A la suite de l’exhumation d’un tumulus, en 1949, Georges Condominas avait mis à jour un ensemble de 11 lames lithophoniques taillées par éclats (réf. : MH. 50.24.101) de l’industrie néolithique bacsonienne, à Sar Luk, au Vietnam central, dans la province de Dak Lak (Condominas, 1974, disque ; Schaeffner , 1951). Daté de près de 5.000 ans, cet ensemble instrumental fut considéré un temps comme le plus ancien du genre. Fin 1980, 200 lames lithophoniques ont été découvertes dans les provinces de Dak Lak, de Khanh Hoa, de Dong Nai, de Binh Thuân (commune de Hâm My), de Binh Phuoc, de Tây Nguyên, de Lam Dong, commune de Son Dien, district de Di Linh, dans les hauts-Plateaux du Centre (18 lames) et de Phu Yen. Les LAMMP, sacrés pour certains groupes ethniques de Tay Nguyen ; font partie de trésors familiaux, car la musique lithophonique accompagne les cérémonies rendant hommage aux dieux et aide à protéger les récoltes.
En Afrique, les Kabiyé ou « Kabré » des montagnes du nord du Togo, conservent encore l’usage du lithophone. Si certains LAMMP ont survécu en Éthiopie et au nord du Nigeria, il semble que chez les Kabiyé ils soient encore joués couramment par les jeunes au cours des rites d’initiation, et même par les enfants dans un simple but de divertissement. De son vrai nom pichanchalassi, qui signifie "le son des cailloux", l’ensemble instrumental comprend 5 lames de dimensions différentes et disposées au sol. Elles sont jouées avec 2 percuteurs en pierre.
Certains LAMMP sont sculpté et polis avec des formes et des styles caractéristiques. Au Vietnam, les temples bouddhistes emploient comme gongs, des disques de phonolite sculptée de motifs et percée d’un trou de suspension (biên khánk). En Chine, de nombreux LAMMP firent leur apparition il y a au moins 2.000 ans. Par exemple le qing (pierre sonore), le bianqing (série de pierres sonores) associé à des tambours et des cloches mis au jour dans le tombeau du marquis Ying des Zeng enterré en 433 av. J.-C. dans le district de Suixian, dans la province du Hubei.
Au Japon et en Corée des LAMMP comportaient jusqu’à 16 plaques de jade ou de marbre. Taillées en forme d’équerre ou de poisson, les lames étaient suspendues à un portique. L’ensemble formait un carillon appelé Pien K’ing (Battesti T. et Schubnel H.-J., 1987). Le père Amiot en 1779, indiquait que le timbre des carillons chinois "tenait un milieu entre le son du métal et celui du bois" (Schaeffner, 1961).

2) Les lithophones cylindriques manufacturés (LCM)
Il s'agit de pierres cylindriques monolithiques manufacturées sculptées puis polies :
Les analyses morphologiques, tracéologiques de ces longs objets monolithes sahariens cylindriques, considérés dans les anciennes classifications comme étant des «pilons sahariens», ont dévoilé un nouveau type d’objets subsahariens : les « lithophones cylindriques » (Gonthier E. 2005). Ces objets préhistoriques transportables, en provenance d’Algérie, Côte-d’Ivoire, Mauritanie, Tchad, Togo…, remontent de 2.500 à 8.500 ans av. J.-C. La grande particularité des LCM tient est d'être diphoniques.

III – Recherches lithocasoustiques sur des idiophones lithiques anciens
La distinction entre idiophones lithiques et d’autres roches sonores naturelles qui n’ont jamais servis à émettre des sons intentionnellement est parfois difficile à différencier. Pour cette raison, et afin d’étendre mes recherches paléo-instrumentales, j'ai recherché des sites appropriés contenant du matériel acoustique en place.

Parmi les objectifs fixés :
Contribution à la recherche des plus anciens instruments lithophoniques connus en incluant des idiophones dans une classification précise ;
Compréhension des modes de fonctionnement des instruments ;
Mise en évidence des phénomènes physiques qui président à leur mise en résonance ;

S’agissant d’idiophones placés en fouilles contrôlées, le croisement des données archéologiques a tenté d'apporter des datations plus précises.
Les études lithoacoustiques par analyses sonographiques ont non seulement dévoilé des notes fondamentales comprenant harmoniques, partielles et résonance (Gonthier E., Tran Quang Hai, 2005), mais démontré aussi que la diffusion des ondes dans les matériaux lithiques suivaient des directions privilégiées (Gonthier E., Tran Quang Hai, 2007). L’idée que cette propagation des ondes est d’un caractère récurrent à tous les lithophones cylindriques transportables (anisotropie ondulatoire avec le support), les recherches préhistoriques à Java ont permis de tester des roches idiophoniques non transportables pour entamer des comparaisons lithoacoustiques révélant d’éventuels plans de translation isophoniques comme sur les lithophones cylindriques africains (LCM).
Suspendu et frappé à son extrémité, un idiophone entre en vibration. Le son se propage de manière longitudinale en émet une série de fréquences audibles d'une durée variable. En 2 millisecondes par exemple l’onde compressionnelle, réfléchie aux extrémités de l’échantillon, parcourant un trajet de 30 à 75cm à des vitesses comprises entre 3 et 6km/s. La nécessité d’enregistrer les sons des concrétions stalactiformes, permet de mieux appréhender les phénomènes de résonance des roches cristallines ancrées au plafond des grottes et placées en milieu isotropique.
Le plus difficile est la mise en connexion chronostratigraphique. Distinguer précisément à quelles couches stratigraphiques pourraient être rattachés les morceaux de lithophones brisés reste encore en suspend.
Les investigations qui s’étendent à la présence des lithophones naturels en calcite sur parois, permettent d’étudier in fine les positions de frappe des anciens instrumentistes. Cette étude porte sur les :
Stratégies techniques non traumatiques (risques de fracturations accidentelles liées à l’utilisation des stalactites ;
Stratégies digititactiles (positionnement des mains en relation avec des positions de corps)
Stratégies podotactiles (accessibilités aux instruments faciles ou plus exigües…)
Orientations techniques (pertinences sonores).

IV – Recherches tribologiques sur des idiophones lithiques anciens
Les lithophones sahariens présentent des stigmates de fabrication rappelant ceux rencontrés sur des outils et des objets cérémoniels rencontrés en Papua-Barat. La recherche en détail des techniques de fabrication à la fois par percussion directe et par polissage direct ou sur végétaux au village d’Ormu-Wari, près de Jayapura, permet d’évaluer avec une certitude plus grande les temps de réalisation des objets finis et de les transposer sur les idiophones transportables sahariens.
De même, ces études technocomparatives menées près des tailleurs d’Ormu-Wari, tiennent compte des stigmates laissés sur les objets sonores. Les études tracéologiques s’intéressent à :
Quantité de perte de matériaux (études volumétriques des matériaux résiduels) et typologie des résidus (poudres, grains, éclats…) ; Impacts accidentels ou naturels (raisons et évaluations quantitatives). En pétrographie, l’étude des textures minérales est essentielle pour connaître à la fois sur le matériel de composition des instruments et aussi sur le matériel périphérique qui a permis leur réalisation. Ces études sur la texture des matériaux inorganiques et organiques est réalisée en : Raman Microspectrométrie , Spectrometrie Infra-Rouge.

Analyses Optiques
Les lustres de grande finesse qui couvrent la surface de certains instruments, nécessitent de trouver des fabricants lapidaires actuels. Les analyses de leur gestuelle et des objets techniques effectués au cours des différentes séquences de travail, apportent nombre de données tribologiques qui permettent une exploration et une comparaison plus objective des conformations des artefacts. En autres :
Morphologie des traces (rayures, plages de polissages, inclusions de matériaux exogènes…) ; Rapport abrasifs/matériaux d’œuvre.

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