mercredi 8 juillet 2009

Marqueteries de pierres dures et lapidariat d'art monumental



La Marqueterie de pierres dures est un art dont la fonction est d’embellir des objets mobiliers (tables, médaillers, coffrets...), ou d’habiller en couleur et en textures des structures architecturales monumentales. Cette manière de décorer élégamment les objets, instinctive chez l’homme, remonte aussi loin que la notion d'esthétisme et de conceptualisation existent. Les premiers marqueteurs furent certainement des chasseurs qui personnalisaient certains de leurs effets par des incrustations d’os ou d’ivoire. La naissance de cette pratique lapidaire est commune à bien des régions du Monde et remonte aux époques où des artisans ont été capables de graver, percer et polir des matières solides.
Le palais du Roi Mausole, à Halicarnasse (377-353 av. J.-C.), est un exemple considéré comme une œuvre maîtresse de l’Antiquité. Son épouse, Artémise, possédait des boiseries incrustées de marbre. En Asie Mineure, dans la Turquie actuelle, cet art se développa sous l’Empire Romain. Les lapidaires romains avaient constitué nombre d’œuvres à partir de techniques issues des mosaïques de pierre réalisées à partir de l’assemblage et du collage de petites tesselles angulaires colorées. L’Egypte des Pharaons incrustait dans son mobilier des plaques préformées de gemmes et de pâtes de verre, comme certains objets mobiliers du trésor de Toutankhamon le montrent.
Dès le XIV°s., les lapidaires exécutaient en nombre des coffrets, des coupes, des vases à partir de galets roulés ou de blocs naturels angulaires d’agate, de jaspe, de porphyre, etc., montés le plus souvent sur des structures métalliques précieuses. Le grand duc Ferdinand 1er de Médicis encouragea le travail des artisans lapidaires. En 1588, il institutionnalisa à Florence la « Galerie des Travaux », nommée par la suite « atelier de pierres dures », ce qui déboucha sur la création de l’« Opificio dell'Pietra Dura ». Au début du XVII°s., au moment de l’éclosion du goût décoratif baroque, l’utilisation des marbres polychromes et des jaspes multicolores s’accrut considérablement pour ornementer des objets manufacturés réservés aux souverains et aux papes. Pour l’obtention de ces chefs-d’œuvres, les investissements étaient incroyables. Les temps de réalisation des marqueteries prenaient des années, et s’ajoutait la recherche des matériaux en Italie, mais aussi en Europe, au Proche et Moyen-Orient. Cet engouement pour les pierres marquetées s’étendit aux revenus plus modestes et les effets de mode faisaient leur œuvre. Les dessins des tables de marqueterie, complexes et admirables, offraient à la vue une véritable dimension encyclopédique naturaliste réaliste exposant plantes, minéraux et animaux dont beaucoup étaient déjà employés à des fins médicales et pharmaceutiques.
Jacopo Ligozzi, de l’Académie de Florence, donna des dessins pour la réalisation de plusieurs œuvres en marqueterie de pierres dures. Cet art décoratif faisait la grande renommée de la cité toscane au XVII°s. et Firenze devint par la suite un centre dominant pour la maîtrise de cette technique maniériste, réputée dans toute l’Europe, en France, en Bohême, en Espagne, jusqu’en Russie. Dans cet esprit, les monarques des cours étrangères fondèrent leurs propres manufactures. Ce fut le cas à Prague, capitale impériale, devenue ville résidentielle pour l’empire des Habsbourg et l’une des plus importantes agglomération d’Europe centrale. Rodolphe II (1552-1612), à la générosité légendaire envers les artistes, rassembla au Château de Prague les œuvres des meilleurs artistes des 3 plus importants centres de la Renaissance tardive : l’Italie, les Pays-Bas et l’Allemagne du sud.
Une classification lapidaire et gemmologique, de 1748, dénombra près de 300 variétés de marbres et de jaspes employés en Sicile (Valentina Gagliardo, 2003).

Une première technique est employée, dite à «comesso». Les pierres dures ajustées bord à bord avec une extrême précision, puis collées à la collophane sur une âme en schiste-ardoisier noir, sont exploitées pour créer des touches de couleur ombrées, des dégradés et des effets de texture. La manipulation visuelle est si trompeuse que les artistes ont recréé en pierres naturelles les subtilités graphiques des peintures sur toile. Les effets optiques sont liés à la qualité des ajustages, au dixième de millimètre, mais aussi au choix des matériaux issus des collections médicéennes. Certains effets de couleur sont amplifiés, surtout lorsque les gemmes sont translucides ou transparentes. Des tains sont fixés à plat ou en demi-boule sous ces gemmes (quartz, agates, grenats, rubis...) pour rehausser les couleurs ou créer la sensation de l'orient des perles, par exemple.

Une seconde technique est dite à «intarsio». Il s'agit de l'incrustation de plaques détourées à la forme d'un dessin précis dans des alvéoles creusées (profondeur 6mm) dans du marbre blanc. Chaque plaquette de pierre dure a une forme imposée par le dessin déposé sur le marbre blanc. Elle est déposée,puis collée à la collophane dans les cavités du marbre, ce qui laisse généralement des "réserves" monolithes entre les éléments d'incrustation. Cette technique peut jouer de concert avec l'"intarsion". Leur déclinaison se retrouve entre-autre dans un grand nombre de monuments et églises baroques européens, voire depuis le XVII°s. en Inde sur le Taj-Mahal, par exemple.

Les stucs, les décors à "marmi mischi" à base de marbres et de jaspes siciliens utilisés en Toscane, à Rome, Naples, Gênes, furent considérés comme l’innovation la plus importante apportée par la culture italienne à l’art européen baroque (Valentina Gagliardo, 1998).

DEevant le succès des productions de la marqueterie italienne et des investissements que certains osaient faire pour posséder ces objets de grands luxe, en 1668, en France, Louis XIV recruta des marqueteurs italiens comme Fernando Migliorini, son frère Orazio, Fillipo Bianchi et Gian Giachetti. Il leur demanda d'intégrer les ateliers de la Manufacture des Gobelins à Paris avec en plus la charge d'initier des marqueteurs français. La Manufacture Royale produisit des marqueteries de pierre pour décorer les cabinets et des plateaux de tables. Mais en 1694, après seulement 26 ans de créations, l’atelier ferma. Il faut attendre la fin du XVIII°s., pour que quelques ébénistes, comme Joseph Baumhauer, Adam Weissweiler, Guillaume Benneman, se remettent à couvrir de pierres dures des meubles Louis XVI. Sans doute, pour leurs matières premières, se sont-ils servis sur les reliquats de démontage d’anciens cabinets de l’époque Louis XIV.

La marqueterie de pierre dure a chercher à miniaturiser le monde. Dans ce rassemblement de formes, apparaissent des objets de curiosité. Les dessins avaient la particularité de tout englober l'ensemble des scènes représentées d’un seul regard. Les "armoires aux merveilles", ces meubles d’ébène noir aux nombreux tiroirs à secrets, étaient ornementés, surchargés parfois de ces marqueteries. Chaque trompe-l’œil était un théâtre miniature dans lequel pouvait se dérouler des scènes naturalistes, mythiques, et des scènes de la vie sociale.

Lorsque l’empereur moghol Shâh Jahân entama les travaux du Taj Mahal en 1632, pour accueillir la dépouille de son épouse, Arjumand Bânu Begam, plus connue sous le nom de Mumtâz Mahal (décédée le 17 juin 1631), il chercha avec frénésie à représenter aussi un symbole de la magnificence du Grand Moghol. Cette merveille architecturale de marbre blanc indien, reflète les nombreuses influences timourides, indiennes et européennes, dont se réclamèrent architectes et lapidaires. Le mausolée fut achevé fin 1643 ou début 1644. L’architecte principal était Usad Ahmad de Lahore. Il avait permis de réaliser des frises de pierres dures sur tous les pourtours et embrasements du bâtiment. Des pierres précieuses avaient même été serties dans les marbres proches des dépouilles mortelles.
La mosquée située un peu plus bas fut également décorée de marbre et d’incrustations florales, ainsi que de motifs de chînî khâna. Typiques de Shah Jahan, les colonnettes d’angles présentent à leur base un bulbe, tandis que des fleurs à pétales couronnent la base des coupoles.


Les recherches que j'ai mené avec David Christopher Smith en collaboration avec l’Opificio Delle Pietre Dure de Firenze, avec la Microsonde Raman Mobile portable, ont permis de vérifier les appellations gemmologiques empiriques employées par les artisans florentins depuis la constitution des collections lapidaires par les Medicis. Ces désignations, parfois totalement erronées, restent encore aujourd'hui et en toute conscience, traditionnellement utilisées pour désigner les différentes substances minérales travaillées dans le cadre des restaurations opérées sur place. Cette recherche a porté aussi en détail sur les techniques de fabrication des tables, sur les restaurations, et sur les dégâts liés aux mauvaises manipulations, à des expositions solaires intenses, à Florence, comme à Paris.

Ces recherches ont été menées dans le cadre d’une Action Concertée Incitative financée par le Ministère de la Recherche et dirigée par Marie-Hélène Moncel entre 2004 et 2008. Des articles ont été publiés in - 2009. MONCEL A.-M., FROHLICH F. (édité par) : « L’Homme et le précieux, matières minérales précieuses » - Oxford : British Achaeological Reports, 2009. - 1 vol. Publié par John & Erica Hegges Ldt. Oxford OX2 6RA. pp314. ISSN 0143-3067 ; 1934, ISBN 978-1-407-30248-5.

1 commentaire:

  1. Passionnants : votre parcours et tout ce que j'ai appris sur ces pierres musicales, "MP3" comme vous les baptisez dans l'émission de F C qui m'a rendue curieuse. Comment puis-je aller un peu plus avant dans la connaissance des litophones? Merci d'avoir ouvert ce vaste champ. Marcelle

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